Avant le weekend
Extrait de notre groupe What’s app entre filles « Trop chaude d’aller dans le sud, ils annoncent vraiment dégueu en montagne de toute façon ». « Si c’est pour faire de la théorie autant le faire sur la plage en bikini « haha » « mojitooos » . 24h plus tard : nous sommes en file indienne dans une course sans nom, congelées, en train de balancer des blocs de 50 kilos.
Jour 1 – Samedi
Nous nous retrouvons au parking du prés de Madame Carle.
Pour toi qui n’es jamais allé t’aventurer par ici, c’est l’émerveillement -> pupilles dilatées/mâchoire tombante !

Ascension sous le soleil et parmi les touristes vers le refuge du Glacier Blanc. Nous y sommes accueillis par Maria qui est ici comme chez elle puisqu’elle faisait partie de l’équipe cet été. Nous faisons connaissance avec Benoît, aspirant guide, qui passera 2 jours avec nous pour découvrir les joies de l’encadrement de cordées autonomes. 24h plus tard Benoît qui est resté perché pendant 1h30 au sommet de notre rappel, dans le vent, nous avouera « c’est quand même vraiment plus complexe que d’encadrer des clients traditionnels ».
Mais il dira aussi « Par contre c’était un réel plaisir, vous êtes toutes merveilleuses et vouées à devenir des grandes alpinistes ». Ah non, ça il n’a pas dit.
La météo étant assez incertaine pour le reste du weekend nous décidons avec les guides de réaliser une petite course d’échauffement plutôt que de passer l’après-midi à lire des topos. Ça sera donc l’Aiguille Pierre-Etienne par la voie « Graine de Cézanne ». Telle une bande de fourmis sorties de leur hibernation, nous attaquons l’arête, assez facile, de tous côtés. Ça avance bien puisqu’on peut grimper de partout.

Après cela, il nous reste une bonne marche sur le glacier blanc/plus du tout blanc pour rejoindre enfin notre camp de base du week-end : le refuge des Ecrins.

Jour 2 – Dimanche
Maman, maman, Il fait tout blanc ! Lever de soleil magnifique sur le Dôme et la Barre des Écrins.

Tu regardes par la fenêtre toute excitée, tu descends vite pour aller mettre le nez dehors. Ça sent bon la belle journée de ski : neige fraîche, ciel bleu. Le pied. Sauf qu’on n’a pas nos skis. Parce que c’est pas la saison du ski. Tu réalises alors que tu vas peut-être passer une journée compliquée.
Tu es guide et tu te dis que ça ne va pas être simple de trouver un plan adapté aux conditions.
Conseillés par Damien, le gardien du refuge, nous nous lancerons dans l’arête Hyppolite Pic. Un truc qu’il dit être très chouette mais que personne ne fait jamais.
Toi, tu te demandes ce qu’est on fout là et pourquoi on n’est pas allé dans le Sud ! Tu le savais qu’il allait neiger, on le savait tous.
Direction le col de la Roche Faurio. On s’arrête pour essayer d’imaginer notre passage vers le couloir qui lui-même nous mènera vers l’arête Hyppolite.
Tu commences à te les cailler, tes gants sont trempés et vu le rythme tu te dis qu’on n’est pas sortis de l’auberge.
Tu fais un effort pour rester positive mais quand même, tu te demandes vraiment pourquoi on avait besoin de venir grimper dans la neige alors qu’il existe un endroit magnifique appelé le Sud. Tu te demandes juste à quoi ça sert.
C’est la première fois que tu fais du mixte donc même si tu as froid et que tu n’as pas du tout confiance dans tes petites pointes d’acier, tu es trop contente de découvrir cette pratique.
Tu balances d’énormes cailloux, tu as la banane, tu es dans ton élément. Tu kif. Tu t’appelles Seb.

On ne progresse pas très vite et le ciel s’est assombri. Nous découvrons de jolis passages comme celui qu’on nommera spontanément le rasoir.
Tu te demandes ce qu’il t’a pris d’enfourcher sans hésitation ce rasoir tel un cheval. Tu diras d’ailleurs une phrase mythique, mais tu préfères que ça reste entre nous.
Nous décidons de nous arrêter avant le sommet principal. Le refuge semble à bout de bras mais il nous faudra pourtant 2 à 3h avant de déguster notre soupe bien chaude.
Les guides installent des rappels, on engloutit les paquets de chips, l’attente au-dessus du rappel semble interminable pour les dernières même si nous avons atteint un état de rire nerveux qui fait beaucoup de bien.
Quelques heures plus tard, c’est l’heure du fameux débrief au refuge. On se rend compte à quel point ce moment est précieux (merci Max) pour bien clôturer une journée que nous avons toutes vécu de manières très différentes. Les notes de plaisirs varient entre 3 et 7. Les notes d’intérêt sont plus généreuses.
C’est marrant, tu as mal aux bras tellement tu as balancé des cailloux aujourd’hui. Tu as trouvé cette voie super jolie.
Tu nous avoue avoir eu peur aujourd’hui, à cause de la qualité du rocher. Mais après une bonne réflexion très personnelle, tu arrives à te dire que c’est une peur que tu dois apprendre à surmonter. Tu souris à nouveau.
Tu rigoles, tu te marres. Ces débrief sont décidément toujours des bons moments. Tu étais malade toute la semaine et là tu es juste crevée. Tu verses quelques larmes discrètes.
Jour 3 – Lundi
Réveil 4h.
Tu tires la gueule, mais tu t’efforces de sourire quand même pour ne pas passer pour une rabat-joie.
Tu vois bien que ta voisine tire la tronche mais toi tu sais que c’est inévitable ce réveil matinal si tu ne veux pas rentrer à la maison après minuit ce soir.
On serpente dans le labyrinthe de crevasse du glacier blanc, sous les étoiles, pour rejoindre le chemin qui nous mènera au pied de l’arête des cinéastes.
Tu es dernière de ta cordée et à chaque pont de neige, tu te fais tirer vers le vide par tes copines qui ont déjà oublié qu’elles ont traversé un passage délicat.
Tu es guide, tu les as laissé faire, mais tu te demandes tout de même pourquoi on a choisi l’endroit le plus crevassé de tout le glacier, à savoir sur le côté, proche des rochers.
Tu es un peu débile et toi, tu trouves que c’est mega beau et esthétique les crevasses. Tu en oublies d’ailleurs les malheureux qui te suivent gentiment et que tu tires à grand coup de bassin.
Stratégie du jour : 2 équipes. Une équipe pour se lancer dans l’arête classique et une autre pour attaquer la variante « chaud », plus grimpante.
Dans la team arête on en prend plein la vue. C’est beau, comme prévu. On trouve quand même que ça grimpe cette histoire, surtout dans le passage du toit ! Alors qu’on est en train, chacune à notre tour, de nous battre pour faire rentrer notre chaussure dans la cordelette qui nous sortira de ce mauvais pas, Seb est sur une toute autre mission. Il est en train de se battre corps et âme lui aussi mais pour sauver un coinceur abandonné.

Tout le monde est sorti, le coinceur aussi, Seb est aux anges. On parle du toit, il parle du friend, chacun ses victoires. Il a les mains en sang, mais sa journée est un succès. La nôtre le sera aussi.
Tu as faim, tu te rappelles que le petit déj était il y a bien longtemps déjà, c’est normal. Tes copines ont dégainé les cakes de Damien et lorsque tu passes à leurs côtés elles te fourrent une grosse boulette dans la bouche. Tu ne sais plus respirer mais au moins tu manges, voyons le positif.

Petit coup de boost sur la fin, l’autre cordée nous attend déjà en bas. On enchaîne rappels et course de pierrier d’un bon rythme et on retrouve l’autre équipe pour un pique-nique express.
Tu te dis que si on avait été à 8 dans cette course tu ne serais vraiment jamais arrivée chez toi avant minuit ce soir.
Tu es content parce que tu as récupéré deux coinceurs aujourd’hui, quelle belle journée. Tu remarques qu’on étant moins nombreuses on est aussi plus solidaires, car moins pressées.
Reste une bonne marche pour rejoindre la voiture, ensuite 3h de route pour rejoindre Grenoble et ensuite un pouce levé, un bus presque raté ou encore de la voiture pour enfin être dans ton lit.
Tu te dis que ton lit est quand même un des meilleurs endroits du monde.
S’en suivra une réflexion sur les bienfaits de scinder le groupe en deux. Les guides nous proposent de systématiser cette scission l’année prochaine. On parle même d’avoir deux programmes différents, voire des dates différentes.
Tu te dis que ça serait super pour l’apprentissage et pour pouvoir faire de plus belles courses. Toi, tu es un peu triste. Tu te dis que la cohésion du groupe en prendrait un gros coup.
On finira par retenir l’option des deux groupes lorsque c’est possible mais en gardant des objectifs similaires et en se retrouvant le soir pour notre fameuse tranche de rire et de confessions. On s’enverra ensuite des petits cœurs de toutes les couleurs en se rappelant qu’on reste avant tout une Team. Cœur jaune, cœur bleu.
Avertissement : certains faits et réactions ont été très légèrement exagérés dans un but narratif. En vrai, on ne râle pas autant que ce que pourrait laisser penser ce récit. Et Seb ne fait pas que balancer des cailloux et décoincer des friends.
Elodie, Sophie, Vanessa, Maria, Charlotte, Täte, Cyrielle et Lucille