Alpinisme hivernal mixte dans le massif du Taillefer en demi-groupe 

 3 et 4 février 2024

C’est un week-end d’alpinisme mixte en demi-groupe qui s’annonce. Les groupes sont faits, mais les voies pas encore identifiées. Nos biscotos sont encore bien chauds du week end précédent à l’Ice Climbing, les plaies presque cicatrisées, les bleus et hématomes un peu résorbés, les piolets et crampons à peine séchés. Nos broches tout juste rangées. Quant à nos cordes… à peine localisées. 

Commence alors le ping-pong des idées de sortie, gagné haut la main par Marion B, qui a plus d’un itinéraire dans son sac à nous suggérer. De fil en aiguille, de cascade en cascade, on finit par construire ensemble un projet qui nous donne des papillons dans le ventre. Seb nous propose une aventure immersive, avec une nuit dans une cabane non gardée, ainsi qu’une potentielle ouverture de voie dans le massif du Taillefer. 

Après nos premières expériences, on a bien compris que la veille d’une sortie GFHM, on devrait se préparer mentalement et physiquement comme la veille d’une finale de Jeux Olympiques. Sommeil, concentration, préparation. Seulement voilà, ça ne se passe JAMAIS comme prévu. Cette fois-ci, c’est Oriane qui voit sa voiture s’éteindre sous ses yeux, en plein embouteillage à l’entrée de Grenoble le vendredi soir. Pousser (hystériquement) la voiture, appeler les copains munis de clés de 13 et de 10, changer la batterie de nuit à quatre à la lumière du téléphone (pour réaliser que ce n’est finalement pas un problème de batterie), acheminer la voiture de nuit sur autoroute sachant qu’elle peut s’éteindre à tout moment, il n’y a rien à dire, Oriane n’a RIEN lâché. Cet aléa nous a rappelé le challenge de concilier nos vies déjà blindées avec l’exigence du GFHM, et de la disponibilité mentale que demande une course en montagne. 

Montée chargée à la cabane de la Jasse, et les Rochères en arrière plan – © GFHM

Le samedi arrive enfin. Le programme est donc annoncé : un exercice pédagogique sur une ligne de cascade de glace du lac Fourchu le premier jour, la nuit dans la bergerie de la Jasse, puis une réalisation en ouverture de goulotte sur la face nord est des Rochères. Une fois garées au parking de la Grenonière à Ornon, nous entamons notre montée en étant ultra chargées jusqu’à la cabane, sous un soleil de plomb, et profitons de nos haltes pour observer les lignes envisageables sur les faces des Rochères. Dans nos sacs, nous avons des vivres, du bois, bref, de quoi tenir une nuit dans une cabane en hiver. Cela nous met aussi dans le bain de notre future expédition l’année prochaine, où l’on se résoudra peut-être à acheminer de la nourriture plus légère. Après une installation sommaire dans la cabane de berger et un casse-croute efficace, nous partons enfin en direction de la cascade du lac Fourchu, en pensant à l’autre groupe qui termine probablement sa première journée. 

La cascade de droite des Lacs Fourchus – © GFHM

Ce week-end, pour l’approche, nous troquons les skis contre des SnowPlak, ces raquettes légères qui nous donnent l’impression de marcher sur la lune. Non non, notre guide Seb ne nous a pas payées pour mentionner ce produit qu’il a coconçu, co-commercialisé, et dont il a vanté les mérites durant toute la montée, on a nous-mêmes trouvé ces SnowPlak géniales en les testant. C’est donc à 13h30 que nous attaquons la Cascade Fourchue de droite. La ligne est superbe, la cascade bien fournie. Dans l’émulation du départ, nous croyons en nous, en nos muscles, et en notre force. Au premier relai, après quelques suées, quelques injures, on est KO. Rien à dire, la ligne était belle. Nous montons la cascade en 3 longueurs, avant de redescendre une partie en rappel, puis dans des traversées neigeuses plutôt exposées, sur lesquelles nous installons des mains courantes. De cette journée pédagogique, on a bien mis en pratique le brochage, les relais sur broche, les lunules pour des descentes en rappel. Le retour s’effectue à la frontale, la tête dans les étoiles. 

La soirée dans la cabane de la Jasse se déroule joliment, en compagnie du club universitaire de Grenoble, venu faire une sortie raquette/raclette. En interne, notre débrief s’articule autour de notre volonté d’engagement sur la glace. Malgré nos différences de forme physique et mentale du week-end, nos vécus et expériences en montagne hétéroclites dans le groupe, notre constat, lui, est plutôt homogène : ces sorties demandent de l’engagement, et l’on discute ensembles de ce que l’on cherche en montagne, de cette frontière délicate et si poreuse entre le plaisir absolu et la peur abominable.  Pourquoi passe-t-on du tout au tout en cascade ? Pourquoi on aime, et la seconde d’après, on déteste ? Redescendre sur des pentes à 50 degrés exposées nous fait aussi réfléchir, et semble parfois aller au-delà des limites de pratique alpine qu’on s’accorde. Bref, ce week-end, on se pose plein de questions. 

Qu’à cela ne tienne, le lendemain, c’est toujours la journée de l’ouverture de voie. Malgré un gros surbooking et la forte densité de personnes emmitouflées au mètre carré en ce samedi soir dans la cabane de la Jasse, la nuit n’était pas si mauvaise. Au lever du soleil, on s’approche timidement du pied de la face est des Rochères, sur des pentes encore une fois très inclinées. Il est intéressant de noter que de près, au pied de la face, toutes les voies qu’on avait observées sous d’autres angles changent encore de visages, et nos plans initiaux avec.

Quand Seb nous annonce ce qui nous attend, et qu’on n’y croit qu’à moitié – © GFHM

Plutôt que d’attaquer la voie centrale, dont la ligne semblait plus évidente de loin et mieux fournie en glace, on part sur la ligne de gauche, qui présente de la glace, du mixte, un bout de goulotte, puis de la progression sur neige. Sept longueurs au total, et 430 mètres de dénivelé. Les longueurs s’enchaînent, toutes différentes. Nous nous protégeons avec notre panoplie broche – sangles – coinceurs – friends. La voie est parfois difficile à protéger, ce qui pimente encore un peu plus notre ouverture. Nous alternons de façon naturelle les longueurs en réversible. L’énergie est là, l’efficacité aussi. Seb nous laisse prendre le lead, lire la voie, construire nos relais, tout en gardant un œil sur nos constructions éphémères. La dernière longueur en corde tendue, sur neige en pente raide s’étale sur 150 mètres.

Progression dans la 3eme longueur, en mixte – © GFHM

Seb nous apprend à nous débrouiller avec le peu qu’il reste sur notre baudrier, une sangle et 2 broches, et cet enseignement nous semble vraiment utiles.

Nous atteignons enfin l’épaule, après 9 heures d’effort. La fatigue se ressent, mais les 75 minutes suivantes de descente en traversée, en corde courte dans des rampes dont quelques passages à 40 degrés imposent qu’on reste concentrées jusqu’au bout. Pas le droit à la chute. On arrive enfin à la cabane de la Jasse, ivres de fatigue et de joie. Le temps de replier notre campement nocturne, et refaire les sacs pour la dernière descente, c’est sans surprise dans la nuit, à la lumière de notre frontale que nous entamons la dernière descente vers la voiture. Même si épuisées, on se sent finalement plus légères, et fortes de notre réalisation. On a adoré alterner entre rocher, neige et glace, apprendre à lire le relief sous nos yeux, plutôt que de lire un topo. On a suivi une ligne, et exploré une voie, à la force de notre bon sens et notre raisonnement collectif. La dynamique solidaire et bienveillante du groupe participe aussi au bonheur de la réussite. Il nous reste à trouver un nom de cette voie : ‘’les Demoiselles des Rochères’’. Attention, en légende, on insiste qu’on veut calquer sur le cliché de cette comédie musicale une réelle image de féminité, de force et d’engagement, un peu comme nous quoi !

D’ailleurs, notre topo est là : 

https://www.camptocamp.org/routes/1616483/fr/les-rocheres-les-demoiselles-des-rocheres-face-nord-des-rocheres

Bon, à nous lire comme ça, on penserait presque qu’on arrache les mots de la bouche de Benjamin Védrines ou d’autres alpinistes athlètes après une performance surhumaine. Que nenni ! Halte au malentendu ! Oui, surtout, ne pas se méprendre : notre réalisation n’atteint pas la cheville, ni même le doigt de pied de ces athlètes qu’on porte haut dans notre estime, et dont on n’arrête pas de parler. Nous, les alpinistes en herbe enneigée, ne remportons aucun Piolet d’Or, mais peut-être le Piolet du week end mal engagé qu’on a finalement brillamment surmonté ! Ou le Piolet d’être nous-mêmes, avec, pour certaines nos vies déjà super remplies, nos boulots, pour d’autres nos enfants, ou encore nos partenaires, et nos galères, nos passés, nos peurs qui pèsent parfois lourd dans notre sac. Le Piolet d’aller au bout de nos efforts pour nous dépasser, nous reconstruire, et apprendre ensembles sur des voies hyper exposées. Il est temps de raccrocher nos piolets, d’atterrir doucement, revenir dans notre quotidien, et dormir enfin.

Marjolaine, Oriane Marion B et Marion R-S 

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